sábado, 16 de marzo de 2019


La escritura de Khatibi es catarsis de vida, por eso este autor, en el trabajo práctico de su texto, introdujo cierto desorden en el cuer­po del otro -del lector- y en el cuerpo social, de la misma forma que en la poesía, en la músi­ca y en el vivir cotidiano, uno habla, y, lue­go, se calla.

Ausencia que siempre habla, puesto que recoge la palabra que, suspendida, continúa meditando, metamorfoseándose en el si­lencio. Y de la misma manera, que cuando soña­mos, no nos ubicamos en el tiempo, pues los recuerdos se siguen entre sí, se superponen y pasan por el vacío...

Al igual que el tao, nos invita :


Mi poema en "El Soplo de la Vida El polvo de la Tierra" (Mayrit, Editorial & Librería Diwan, 3 edi., bilingüe, 2016, p. 61)



Pour Abdelkébir Khatibi :

le visage de la terre est déjà recouvert des yeux de tant de bien-aimés disparus


  (publié in “Expressions maghrébines”, vol. 12, nº 1, 2013, pp. 121-124)



0.- En guise d’introduction



On n’oubliera jamais [sa] Mémoire tatouée, cette autobiographie réflexive, cette évocation de fantasmes et ce retour nostalgique au paradis perdu, mais prétexte, aussi, pour l’introspection, pour la réflexion d’ordre politique dans chaque miette du souvenir de son enfance, des ses quêtes de l’adulte et sur son prénom, en essayant de définir sa signification à travers l’histoire et la mémoire. Et cette absence entre l’Orient et l’Occident...
Mais Abdelkébir Khatibi a aussi pu dépasser l’officiel, le centrisme, l’autosuffisance de la pensée savante pour découvrir son amour des marges. Une découverte faite, entre autres, grâce aux travaux de Roger Bastide, surtout ceux qui concernent le statut du corps et sa représentation dans les autres cultures.




L’oeuvre polyphonique et exigeante de Khatibi est en perpétuel dialogue aussi avec celle de Derrida, de Barthes ou de Glissant. Une Infinition qui rappelle Lévinas, le fondateur de cette “pensée du Dehors”: “Je conçois l’autre en sa limite infinie, porteuse d’un monde inconnu, qui exige de la pensée l’exercice d’une violence novatrice entre les cultures, leurs rencontres et leurs résistances à la pulsion de cruauté des uns et des autres” (Khatibi 2008 : 43).
Et si Barthes a épelé le plaisir de la lecture, Khatibi nous rend sensibles à la jubilation de l’écriture. Si pour Ibn ´Arabi - né à Murcia - “la plume qui incise le papier et l’encre qui l’imprègne jouent le même rôle que la semence mâle qui éclabousse les entrailles de la femelle et les pénètre profondément pour y laisser les marques et les traces du divin” (Les conquêtes mecquoises), pour Khatibi la trace est d’abord inscription du désir : “L’homme écrit comme il laboure; ce geste fonde son érotique” (Khatibi 1974 : 85)[1].


                 


Ces lignes ci-dessous englobent, pour moi, l’idée force de son travail intellectuel, poétique, son désir, sa passion, sa jouissance-érotique, “son bonheur indicible!” (Amour bilingue, 1983).

Depuis longtemps, je lui ai consacré de nombreux travaux, en même temps que j’ai maintenu une correspondance active avec lui : d’abord à travers les traits grands de son écriture qui s’inclinaient vers le haut de la page et que je trouvais déposés dans ma boîte aux lettres, puis à travers le courrier électronique.
Je l’ai étudié dans mon ouvrage Encrucijada de Literaturas Magrebíes (2001). J’ai écrit le seul article dans la presse espagnole : In Memoriam (2009). Et j’ai parlé sur toute son œuvre pour le programme de la télévision espagnole : « Islam Hoy », dirigé par Mohamed Chakor. J'ai aussi participé pour hommager cet intellectuel avec d'autres collègues (nº 34 de la revue “Interculturel francophonies”) et dans des Colloques Internationaux.


Aujourd’hui, je vous offre ma conversation inédite et unique, en Espagne, avec Abdelkébir Khatibi. Elle a eu lieu à l’”Hotel Victoria” de Madrid, lors du Colloque « Magreb-Europa », où tout un éventail d’écrivains maghrébins m’entourait dont Tahar Djaout (dix mois après son âme s’envolait sous une balle terroriste), cinq mois après ma présentation pionnière de trois écrivains maghrébins : Driss Chraïbi, Albert Memmi, Azouz Begag.
Cette conversation, maintenant transcrite, je l’écoutais quand je désirais me ressourcer de l’écriture khatibienne, de son haleine, de ses pauses silencieuses, de son murmure berçant un peu fatigué, un peu éraillé.
Je la gardais comme un trésor. Je craignais de la transcrire en raison du nombre d’opérations traumatiques que j’aurais à infliger à une fragile et humble cassette : écouter, bobiner, rembobiner, arrêter... - combien de fois ? 
Voici pour vous, lecteur, ses mots.


- Leonor Merino : Avez-vous choisi la langue française pour écrire ou bien c’est elle qui…?

- Abdelkébir Khatibi : Oui. J’ai été choisi par la littérature, d’abord. J’écris depuis l’âge de douze ans et mon écriture est un travail branché sur le désir, cela d’une part. D’autre part, en écrivant à cet âge, je l’ai fait dans la langue que je connaissais le mieux et que des événements historiques ont déterminée. À travers cette langue, j’ai intériorisé beaucoup de choses, tout un monde intérieur où des idées et des concepts ont germiné et cette langue est devenue ma langue d’écriture.



- L. Merino : Quelle relation éprouvez-vous avec les langues et plus exactement maintenez-vous une relation passionnante avec la langue française?

- A. Khatibi : Oui, dans ce sens-là, j’aime toutes les langues que je parle, plus ou moins cinq langues. J’écris aussi l’arabe, il ne faut pas l’oublier.

J’ai un rapport tout à fait intérieur à la langue française, ce n’est pas quelque chose d’extérieur. Car, à travers Baudelaire, j’ai aimé très tôt la poésie. Baudelaire m’a apporté quelque chose à la fois de ce qu’on peut appeler une langue d’amour et des expériences fondamentales, ce que c’est la poésie. Je me suis expliqué, longuement, dans plusieurs textes et dans ce livre, que vous connaissez, Amour bilingue.



- L. Merino : Donc, Baudelaire a beaucoup d’influence dans votre oeuvre...

- A. Khatibi : Il est d’abord mon poète depuis longtemps. Mais je lis de la poésie, il y a aussi d’autres poètes qui sont aussi de référence, arabes, allemands..., des différents poètes. Mais Baudelaire a joué un rôle important. À mon avis, il n’a pas vieilli. Il a ouvert à la poésie une modernité, un espace de modernité qui est toujours encore là. Pour moi, il reste très contemporain et il me fait travailler. Pour moi, Baudelaire, à l’âge de douze ans, a été essentiel. Il continue à être très contemporain, parce que c’est un des fondateurs de la modernité.



- L. Merino : La littérature permet-elle d’écrire, dans une certaine manière, ce qu’on n’a pas vécu ?

- A. Khatibi : Oui et non. Dès mon premier livre qui s’appelle, comme vous savez, La mémoire tatouée, j’ai essayé d’écrire comment un écrivain naît à la littérature dans un contexte historique précis. Dans ce sens là, c’est un témoignage sur une génération et, en même temps, c’est ma propre expérience tout à fait personnelle. Donc, j’ai essayé d’écrire ma mémoire aussi.

Eh..., euh...., oui, on écrit ce qu’on n’a pas vécu, mais, en même temps, on transcrit ce que nous avons vécu. Tout mon travail, moi, mon effort c’est d’essayer d’être proche de ce que je sens, de ce qui m’émeut, de ce que j’essaye de penser, tout en sachant que la littérature est toujours un monde où l’imagination est plus forte. Alors, l’essentiel c’est de me perfectionner, mes émotions, mes idées. J’essaye de leur donner forme à partir de la mémoire ou à partir du présent. Donc, il y a à votre question oui et non, je dirais, en ce sens là. J’ai une position fondamentale, pour moi, depuis l’âge de douze ans, c’est que la littérature justifie la vie. Comme dirait Nietzsche la littérature justifie la vie. Donc voilà, pour moi, la littérature justifie la vie.



- L. Merino : Quels ont été donc les philosophes qui ont pu vous influencer ?

- A. Khatibi : Mon grand philosophe est Nietzsche. Il reste pour moi la référence. Pourquoi ? Parce que Nietzsche est un critique fondamental, à la fois de son époque, de la morale, de la philosophie de son époque, et de la morale..., comment dirais-je, de l’asservissement des hommes. En ce sens, sa pensée est essentielle pour moi. Elle me fait toujours travailler. C’est elle ma référence. Mais ce qui m’intéresse de Nietzsche c’est son style de critique fondamental. Sa manière de penser, premièrement et, deuxièmement, sa manière de trouver l’équilibre entre la pensée et l’art. Ce qui fait que je suis sensible surtout aux philosophes et aux écrivains qui sont des artistes. À commencer par Platon en tant qu’écrivain, en passant par Kierkegaard, jusqu’à des philosophes comme Derrida et Foucault ou des écrivains qui ne sont pas des philosophes, mais qui rêvent, qui apportent, c’est l’essentiel : le rapport entre culture et pensée, c’est Blanchot. Mais, pour moi, la référence principale continue à être, jusqu’à aujourd’hui, Nietzsche.



- L. Merino : Comment interprétez-vous la voix de la femme maghrébine ?

- A. Khatibi : Personnellement, j’ai pensé à ça à ma manière. Je parle pour moi. J’essaye d’écouter ce que la femme effectivement dit. Dans la poésie écrite essentiellement pour les hommes - souvent, pas toujours -, toute cette écriture poétique des hommes, elle est adressée à la femme. En conséquence, pour moi, il y a une relation entre ces deux principes, le masculin et le féminin. J’introduis d’ailleurs des figures spéciales dans mes textes, par exemple l’androgyne. J’ai parlé dans un livre de l’androgyne, c’est-à-dire la passion. Quand deux êtres se passionnent l’un pour l’autre, la figure mythologique qui les réunit c’est la figure impossible de l’unité de l’androgyne. J’essaye de décrire les états d’âme et des émotions, des perceptions entre le féminin et le masculin. J’ai essayé de le penser. Ceci dit, je pense comme Rilke, comme d’autres, que les poètes et les écrivains sensibles sont assez capables d’écouter la parole de la femme. Je crois qu’entre les artistes et les femmes il y a un secret, ce secret là m’intéresse, et je l’ai développé dans le livre Par-dessus l'épaule. Directement, dans cet ouvrage se trouvent des notes adressées aux femmes et des notes adressées aux hommes, et j’essaye de dénouer par un fil cette question là.

Par exemple, j’ai fait un travail sur les tapis marocains où j’essaye de dire ceci. Dans les tapis marocains, la femme marocaine a projeté son imagination dans l’espace du tapis. Elle a lié, délié, certaines structures dans un espace concret. J’essaye d’étudier cette imagination du cible dans l’espace du tapis, comme on étudie une page d’Aristote, avec le même sérieux, en exposant des théories esthétiques, consacrées à l’imaginaire et à la symbolique. Étudier de beaux tapis faits par des femmes. J’essaye de capter, de me faire capter par ce secret qui a configuré ce tissu, dans beaucoup de travail. Voilà comment j’écoute la femme, à travers son secret.



- L. Merino : En 1966, dans la revue Souffles, vous avez écrit un article bien connu sur Driss Chraïbi, affirmant qu’il « demeure jusqu’à nouvel ordre notre meilleur écrivain », continuez-vous à le penser toujours ?

- A. Khatibi : Moi, à l’époque, j’avais écrit ce texte parce que je pensais, et je le pense toujours, que Chraïbi est un romancier. Il a le sens du récit. Il sait mener un roman. Il connaît les lois du roman.

L’intérêt, l’intéressant, c’est que la plupart des écrivains maghrébins qui écrivent des romans, n’écrivent pas des romans, ce sont des récits, en général, entre la métaphore poétique et le récit, alors que Chraïbi a appris l’expérience américaine, des années quarante et cinquante, qu’il a bien intériorisée, et il a fabriqué de beaux romans. Mais je n’ai pas lu tout de Chraïbi. Il écrit de la prose. L’action est le dialogue.

Mais de cette génération, ce qui reste pour moi, c’est essentiellement Kateb Yacine et Dib. Mohammed Dib est important. Dans cette génération nouvelle à la mienne, il y en a très peu qui peuvent soutenir l’itinéraire et la force poétique de l’oeuvre de Dib. Donc, j’ai une position très nette là-dessus. Pour moi, c’est que Kateb Yacine et Mohammed Dib sont deux repères importants.




Mi poema dedicado a Abdelkebir Khatibi, en "Mi Voz Estelas en tu Cauce" (Mayrit, Editorial & Librería Diwan, 2018, pp. 95-96) 





[1] Dans Mille et une années de la nostalgie (1979), Rachid Boudjedra affirme aussi ce caractère mystique de l’union sexuelle en convoquant cet intertexte du soufi Ibn ´Arabi.

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